Liberté – Égalité – Fraternité

Petite histoire de la devise de la République française, thème d’une causerie présentée, un jour, en temple maçonnique :


Vénérable Maître, et vous tous mes Frères,


Savez-vous qui de la Franc-Maçonnerie ou de la République a inspiré l’autre et inventé la devise républicaine ? Je me suis un jour posé la question ; et je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante dans les livres existants. Alors, j’ai mené une « enquête » personnelle, me trouvant du même coup une vocation d’écrivain maçonnique.
J’ai d’abord relevé que plusieurs philosophes du siècle des Lumières avaient fait un usage bien particulier de ces concepts. Qu’on en juge:

  • En 1721, Charles-Louis Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755), qui n’est pas encore franc-maçon, écrit dans ses Lettres persanes : « À Paris règnent la liberté et l’égalité. La naissance, la vertu, le mérite même de la guerre, quelque brillant qu’il soit, ne sauvent pas un homme de la foule dans laquelle il est confondu ».
  • En 1755, François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694- 1778), qui n’a pas encore été initié, met la liberté et l’égalité en vers :
    La liberté. J’ai vu cette déesse altière
    Avec égalité répandant tous les biens,
    Descendre de Morat en habit de lumière,
    Les mains teintes du sang des Autrichiens…

    Le même Voltaire avait écrit plus jeune (en 1738) que « les états sont égaux, mais les hommes différents… »
  • En 1762, les deux premiers termes de la triade républicaine sont encore repris par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dans son ouvrage Du Contrat Social. On y lit en effet que : « Si l’on cherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité ».
    De fraternité, il n’est pas ici fait mention.
  • Il faut attendre 1791 pour rencontrer les trois composantes, assemblées, de notre devise. Le 27 avril, Maximilien Robespierre (1758-1794) monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour y prononcer son fameux Discours sur l’organisation des Gardes Nationales.
    L’orateur recommande que les Gardes portent sur leur poitrine l’inscription : « Le Peuple français » et, au-dessous, « Égalité, Fraternité ». « Les mêmes mots, dit-il, seront inscrits sur leurs drapeaux qui porteront les trois couleurs de la nation. »
  • Nous sommes en 1793, le 21 juin. Récemment nommé maire de Paris, après avoir été ministre de la guerre, Jean-Nicolas Pache (1746-1823) donne l’ordre de placarder sur les murs de la ville la formule : «Liberté, Égalité, Fraternité ou la Mort ». Les manuels scolaire ne précisent pas si la décision municipale a été appréciée.
  • Ce que je note encore c’est que, le 7 août, la Loge Les Amis Réunis, à l’Orient de Lille, délivre un diplôme au frère Joseph de Hauterive, où la formule imprimée : Au nom et sous les auspices du Sérénissime Grand Maître » a été grattée et remplacée par celle-ci, toute révolutionnaire : « Au nom et sous les auspices de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité ».
    On pourrait penser ici à une devise maçonnique, mais ce n’est, en réalité, qu’une simple fantaisie de Secrétaire.
  • Le 24 juin 1795 (5 thermidor an III), on peut lire l’inscription « Liberté – Égalité – Fraternité », en tête d’un compte rendu d’assemblée de la Grande Loge de France, dite de Clermont : « L’an 7595, le 24ème jour du 4ème mois » et de « l’ère républicaine, l’an 3ème de la République une et indivisible le 5ème jour thermidor ». Elle y remplace la maxime si fréquemment utilisée avant la Révolution : « Union – Force – Salut ». Ce 24 juin marque la reprise des travaux de l’obédience, mise au repos par les troubles de la révolution.
  • Cinquante-trois ans plus tard, Louis-Philippe, roi des Français, est chassé de son trône par les Trois Glorieuses. La monarchie laisse la place à la (seconde) République. Membre du gouvernement provisoire, Louis Blanc (1811-1882), qui n’a jamais été franc-maçon, fait adopter par celui-ci la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », qui est inscrite dans sa Constitution en tant que « principe de la République ».

  • Voilà pour ce qui est de la devise républicaine : elle date officiellement du 27 février 1848.
  • Le 6 mars, cependant, envoyée auprès des membres du Gouvernement provisoire, une députation du Grand Orient de France n’hésite pas à indiquer, dans son adresse, que « Les francs-maçons ont porté de tout temps, sur leur bannière, ces mots : Liberté, Égalité, Fraternité ».
    Les francs-maçons vont dès lors se prévaloir de l’antériorité mais sans affirmer encore, en cette année 1848, être les détenteurs d’une devise… maçonnique. Il faut attendre…
  • Une année seulement, car le 10 août 1849 est promulguée la première Constitution, jamais établie sous ce titre, par le Grand Orient de France ; l’obédience y affirme solennellement, en son premier article : « L’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme », avant de souligner : « Elle [la Franc-Maçonnerie] a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité ».

  • Il ne fait aucun doute que la République française a bien donné sa devise à la Franc-Maçonnerie ; et non le contraire. On débattra toutefois encore longtemps sur le point de savoir qui a inspiré l’autre… Il m’a fallu des jours pour parvenir, par des preuves formelles, à ce constat. D’aucuns penseront que j’aurais gagné du temps en m’informant sur Internet. J’indiquerai seulement que si vous tapez le mot « Liberté » sur Google, vous obtiendrez: 26 300 000 fichiers… De quoi consacrer à ce terme glorieux de nombreux et longs loisirs…

Vénérable Maître, j’ai dit.