La mort de Maître Hiram

Le texte qui suit ne présente pas d’intérêt pour qui n’est pas franc-maçon car il ne s’agit que d’un texte symbolique ; comprenne qui pourra...

La légende maçonnique

On vous a conté lors de votre élévation au troisième degré, la mort tragique d’Hiram, le grand architecte de Salomon (1), ainsi que tous les événements qui en découlèrent. Mais comme vous l’avez, sans aucun doute, oubliée, laissez-moi vous la raconter à ma façon.

Le roi David ayant formé le dessein d’élever au Dieu Tout-Puissant un temple digne de sa grandeur et de sa magnificence, ne put y parvenir de son vivant, ceci à cause des guerres qu’il avait menées ; se voyant au lit de la mort, il recommanda à Salomon, son fils et son héritier, d’exécuter ce projet.

Le sage roi ne fut pas plus tôt sur le trône qu’il envoya des ambassadeurs à Hiram, roi de Tyr, son voisin et son allié, pour le prier de lui fournir des cèdres du Mont Liban, nécessaires à la construction de l’édifice qu’il voulait bâtir, lui demandant encore un habile architecte qui fût en état d’en conduire et diriger les travaux.

Le roi de Tyr répondit favorablement aux désirs de Salomon, accordant les bois dont il avait besoin, les faisant tailler prêts à être mis en œuvre et les lui faisant par- venir par le port de Joppa. Il lui délégua aussi Adonhiram, surnommé Abif, de la tribu de Nephthali, bon ouvrier en toutes sortes de métaux et habile architecte.

Les maîtres maçons, mis à la disposition d’Adonhiram pour la conduite des tra- vaux, étaient au nombre de 3593. Leurs responsabilités s’étendaient sur 80007 tail- leurs de pierre ou compagnons ; venaient ensuite 70 000 porte-faix ou laboureurs qui n’étaient pas maçons, et 30 000 ouvriers œuvrant dans les montagnes du Liban. Au total, quelque 183 600 hommes de tous âges et de tous métiers participèrent à l’érection du temple de Salomon.

Quelques mots pour définir ce temple destiné à recevoir l’Arche d’alliance. Les murailles qui l’environnaient avaient, pour longueur, 7 700 pieds ; à l’intérieur pouvaient se tenir au moins 300 000 personnes.

L’édifice proprement dit était soutenu par 1 453 colonnes de marbre et éclairé par 2 246 fenêtres.

En vue d’assurer la construction – qui devait durer sept ans et six mois –, l’architecte pensa à créer trois classes d’ouvriers qu’il distingua par les noms d’apprentis, de compagnons et de maîtres. Il recommanda à tous de travailler avec zèle, et fixa le paiement de chaque classe au samedi soir de chaque semaine – les apprentis devant alors se rassembler au pied d’une colonne d’airain dénommée J (2)…, les compagnons au pied d’une autre colonne appelée B…, les maîtres enfin dans une chambre interne du temple.

Trois compagnons qui avaient coutume de se glisser parmi les maîtres et qui espéraient en percevoir le salaire, résolurent de s’en procurer les signes, paroles et attouchements ; et décidèrent d’obtenir ceux-ci d’Adonhiram, de gré ou de force. Ayant observé que l’architecte se rendait seul, à certains moments, à l’intérieur du temple, ils se cachèrent en fin de journée pour l’attendre sous le grand escalier, dans un endroit où l’on rangeait les outils brisés ; avant de se poster aux trois portes d’entrée. Le premier compagnon était armé d’une règle, le second d’une pince (ou levier), le troisième d’un maillet (3).

Adonhiram s’étant rendu dans le temple, vers minuit, pour y faire sa prière selon la coutume, ferma la porte secrète par où il était entré, et dirigea ses pas vers la porte d’Occident, où il aperçut le premier des trois misérables qui leva sa règle en lui demandant les signes, paroles et attouchements de maître, ou la vie. Adonhiram lui répondit, sans s’émouvoir :

Mon ami, je ne les ai pas reçus ni ne les donne de cette façon ; travaille et, par ton zèle et ton assiduité, mérite ce que tu demandes.

« Meurs donc ! » lui dit le scélérat, levant en même temps sa règle pour l’en frapper sur la tête ; mais le mouvement d’Adonhiram pour parer le coup fit qu’il ne le porta que sur l’épaule gauche.

Et voulant se sauver par la porte du Midi, Adonhiram y trouva le deuxième des compagnons qui lui fit pareille demande. L’architecte lui ayant répondu de la même façon que précédemment, l’homme leva sa pince pour l’en frapper sur la tête, mais Adonhiram s’esquivant ce fut son épaule droite qui fut atteinte.

Alors l’architecte, rappelant toutes ses forces courut vers la porte d’Orient où il trouva le troisième assassin qui lui fit la même demande.

La mort que je vois de toute part, dit l’architecte, ne saurait m’ébranler, ni me faire révéler un secret que j’ai juré de garder ; travaille et mérite ce que tu me demandes, j’oublierai ton offense et serai le premier à récompenser ton zèle.

Ce malheureux, que ne retenait aucune pitié, n’écoutant plus que sa rage, lui détacha un si grand coup de maillet sur le front qu’il l’étendit raide mort à ses pieds. Les trois mauvais compagnons ayant ôté la vie à notre respectable maître craignirent d’être découverts. Comme le jour commençait à pointiller, ils cachèrent son cadavre sous les décombres du temple et se rendirent, comme à l’accoutumée, à leur travail.

À la fin du jour, ils reprirent le corps d’Adonhiram qu’ils transportèrent sur le Mont Sinaï aux fins de l’y enterrer. Ils creusèrent à la hâte une fosse qu’ils marquèrent d’une branche d’acacia ; sans s’apercevoir qu’ils avaient laissé tomber dans la tombe deux de leurs outils, à savoir une équerre et un compas.

Il va de soi que la disparition d’Adonhiram jeta la consternation parmi les ouvriers attachés à la construction du temple. Le troisième jour, Salomon, redoutant le pire, manda les maîtres et en désigna neuf pour procéder à des recherches aux environs de Jérusalem, jusqu’à neuf lieues du temple. Ceux-ci voyagèrent jusqu’au neuvième jour et s’étant rencontrés sur le Mont Sinaï, comme ils en étaient précédemment convenus, s’affligèrent de l’inutilité de leurs recherches.

Un maître voulant alors s’asseoir sur un petit amas de terre s’appuya sur une branche d’acacia qu’il entraîna avec lui ; ainsi découvrit-on que la terre avait été remuée. Les maîtres creusèrent le sol et découvrirent le cadavre d’un homme couvert d’un linge teint de sang, ayant une équerre à la tête et un compas aux pieds.

Ce cadavre, qu’ils reconnurent comme celui d’Adonhiram, avait la main droite au signe de compagnon, la gauche tendue le long de la cuisse, et la jambe droite en équerre. Tout indiquait que le malheureux avait été assassiné. Pour le sortir de la fosse l’un des maîtres prit le corps par l’index de la main droite, en disant « J… », mais la peau lui resta dans la main. Un second le prit par le medius de la même main, en disant « B… », mais la peau se détacha. Un troisième le prit par les cinq points parfaits de la maîtrise et parvint à le relever, en disant « M… B… N… ». Les autres maîtres détournèrent alors la tête en disant « G… ».

Les maîtres attendirent le soir pour le transporter à Jérusalem. Y étant parvenus, ils le portèrent dans le cabinet de Salomon qui, après avoir vu les outils trouvés dans la fosse, conclut qu’Adonhiram ne pouvait avoir été assassiné que par plusieurs compagnons, pour en obtenir sans doute le secret de maître et, recevoir ainsi la paie attachée à ce grade. C’est pourquoi le roi résolut d’en changer les mots et les neuf maîtres convinrent que ceux qui leur étaient échappés en relevant le corps d’Adonhiram seraient désormais substitués aux anciens.

Salomon ordonna sur le champ une enquête dans tous les ateliers afin de saisir les coupables. Les assassins, craignant d’être reconnus, prirent la fuite. Quant au corps de l’architecte, il fut mis dans un tombeau de sept pieds de long, trois de large et cinq de profondeur, creusé à l’intérieur du temple. Sur celui-ci fut ensuite incrusté un triangle de l’or le plus pur au centre duquel fut gravé l’ancien mot de maître.

Ainsi peut être racontée, dans les termes les plus simples qui soient, et dans le temps le plus court, la tragique mésaventure d’Hiram. Il me vient toutefois à l’esprit que cette narration est de nature à vous déconcerter, car elle n’est pas tout à fait conforme à celle que vous aviez entendue lors de votre élévation…

N’en soyez pas surpris. Je l’ai volontairement tirée d’un rituel en usage sous le règne du bon roi Louis XVI… Ceci à seule fin de vous amener à méditer d’une autre façon sur la parole perdue, ainsi que sur la signification symbolique de la disparition d’Hiram, notre maître à tous.

Les sources bibliques

Comme chacun sait, le « mythe d’Hiram » trouve sa source historique dans le Volume de la Loi sacrée, à savoir la Bible. On relève au premier Livre des Rois qui fut, pense-t-on, rédigé au septième siècle avant Jésus-Christ, que Salomon ayant l’intention de « bâtir une maison au nom de l’Éternel », s’adressa à Hiram, roi de Tyr (I Rois 5,15-32), en vue d’en obtenir les bois de construction. Le temple édifié, le souverain envoya chercher à Tyr, « Hiram, fils d’une veuve de la tribu de Nephthali et d’un père tyrien, qui travaillait le bronze » (I Rois 7,13-51).

Hiram, nous dit encore le Livre Saint, était rempli de sagesse, d’intelligence et de connaissance pour faire toutes sortes d’ouvrages de bronze. Il arriva auprès du roi Salomon et il exécuta tous ses ouvrages…

Il moula les deux colonnes de bronze qu’il dressa près du vestibule du temple… Il dressa la colonne de droite et la nomma Jakin ; puis il dressa la colonne de gauche et la nomma Boaz.

Il fit encore une mer de fonte, dix cuves de bronze, des chaudrons, des pelles et des calices…

Dans le second Livre des Chroniques, écrit trois siècles plus tard que celui des Rois, le roi de Tyr, qui s’y nomme Houram, envoya à Salomon « un homme habile, à l’intelligence éprouvée, portant le nom d’Houram-Abi, fils d’une femme d’entre les filles de Dan et d’un père tyrien ».

Il sait, lui dit-il, travailler l’or, l’argent, le bronze et le fer, la pierre et le bois, les étoffes teintes en pourpre et en violet, les étoffes de byssus et de carmin. Il connaît tout l’art de la gravure et la fabrication de tous les objets qu’on lui donnera à exécuter (II Chroniques 2,12-13).

Houram fit, pour le temple, des chaudrons, des pelles et des calices ; mais aussi deux colonnes, une mer de bronze polie et même des fourchettes (4,11-16)…

Qu’il se nomme Hiram, Adonhiram (Seigneur Hiram), Hiram Abif (Hiram mon Père, ou maître Hiram), ou encore Houram, l’homme envoyé à Salomon par le roi de Tyr n’est qu’« un homme habile, capable de fondre les métaux » ; et non comme le présente la mythologie maçonnique, « un architecte et un conducteur de travaux ».

Anciens Devoirs et Constitutions d’Anderson

Aucun des Anciens Devoirs de la Maçonnerie opérative ne fait la moindre mention à Hiram. Il faut ouvrir le Livre des Constitutions (1723) du pasteur James Anderson pour faire sa connaissance. On y lit d’abord que « Salomon fut très obligé à Hiram, ou Houram, roi de Tyr, de lui avoir envoyé ses maçons et char-pentiers et principalement son homologue Hiram, ou Houram, le maçon le plus accompli sur terre ».

On y relève ensuite que lors de la construction du temple, « le sage roi Salomon était grand maître de la Loge de Jérusalem, le savant roi Hiram était grand maître de la Loge de Tyr, et l’inspiré Hiram Abif était maître d’œuvre ».

L’ouvrage indique encore qu’après l’érection du temple, « la Maçonnerie se perfectionna dans toutes les nations avoisinantes, car les nombreux artistes qui y avaient été employés, sous la direction de Hiram Abif, se dispersèrent en Syrie, Mésopotamie, Assyrie, etc… »

L’apparition d’Hiram, l’architecte royal, eut lieu en 1730, dans l’ouvrage de Samuel Prichard, curieusement intitulé La Maçonnerie disséquée, c’est-à-dire dévoilée. Nous y lisons :

Demande. – Où allez-vous ? Réponse. – À l’ouest.

D. – Qu’allez vous y faire ? R. – Je vais y chercher ce qui était perdu et qui est maintenant retrouvé.

D. – Qu’est-ce donc qui était perdu et qui est maintenant retrouvé ? R. – Le mot de maître maçon.

D. – Comment fut-il perdu ? R. – Par trois grands coups ; ou par la mort de notre maître, Hiram.

Toute la mésaventure survenue à Hiram est relatée dans l’ouvrage ; il ne paraît pas utile de la rappeler ici. On notera cependant que le mythe d’Hiram est né en même temps qu’a été institué en Angleterre le grade de « maître-maçon », fournissant à celui-ci une « mission initiatique » déterminée : la recherche de la parole perdue.

Que représente Hiram en Franc-Maçonnerie moderne ? « Hiram, répond pour nous Claude Guérillot, auteur de plusieurs ouvrages consacrés au rite écossais ancien et accepté, représente l’initiation de métier sur laquelle s’échafaude l’initiation maçonnique tout entière ».

L’architecte est le symbole du « secret maçonnique », qui doit être préservé malgré tous les périls. Il accepte de mourir pour ne pas révéler le « mot » des maîtres, qui est alors le nom de l’Ineffable. Livrer le mot, c’est nier l’ordre établi, admettre que la violence peut être légitimée, feindre de croire que l’homme peut s’élever sans effort ; bref, c’est condamner le travail pour se complaire dans la paresse, ce que ne saurait accepter l’initié. Mourir pour son idéal, c’est permettre au « grain de blé » que l’on jette en terre de revivre dans un nouveau cycle de temps et d’espace au travers de nouveaux maîtres.

Légende fabuleuse chez Prichard et dans les premiers rituels, que ceux-ci aient été français ou anglais, la mort dramatique d’Hiram, le fondeur promu au rang d’architecte, est devenue un véritable « mythe » avec le rite écossais ancien et accepté qui a réservé, il y a lieu de le souligner, la poursuite et la punition de ses assassins à d’autres grades.

Pour mémoire, je rappellerai que les outils des trois mauvais compagnons sont pour nous les adeptes du REAA : la perpendiculaire (ou fil à plomb) symbole de l’ignorance, le niveau symbole du fanatisme, le maillet symbole de l’ambition.

Je ne saurais clore cette planche sans indiquer à ceux qui aiment les énigmes et les symboles que maître Hiram peut constituer, avec Salomon et le roi de Tyr, non seulement une triade philosophique, mais encore « le ternaire initiatique », ayant pour axiomes : 1 – la préparation ; 2 – la mort ; 3 – la résurrection. Axiomes pouvant se rattacher à Osiris, à Mithra ou au Christ ; ayant pour conséquences la victoire de la lumière sur les ténèbres, du bien sur le mal, de la vie sur la mort.

En rédigeant et en présentant cette planche, je n’ai cherché qu’à éveiller chez l’auditeur des questions auxquelles il ne peut que seul, en sa conscience, apporter des réponses. Je me tais donc ; à vous de réfléchir et de dire.

Notes

  1.  – Salomon appartient à l’histoire des hommes. Quatrième fils de David, ayant vécu de 970 à 931 avant J.-C., il fut préféré à son frère aîné Adonias pour régner sur le royaume d’Israël – celui-ci s’étendant alors de l’Euphrate à la Méditerranée. Salomon fut un allié loyal d’Hiram, roi de Tyr, avant d’entrer dans la Bible comme un héros du peuple d’Israël et un serviteur de Dieu.
  2.  – Il va de soi qu’au rite écossais ancien et accepté, la colonne J… est celle des compagnons, et la colonne B… celle des apprentis.
  3. – Les compagnons du mythe d’Hiram sont armés d’outils différents selon les ri- teso: une règle, un levier et un maillet au rite français ; une règle, une équerre et un maillet aux rites anglais et américain ; une perpendiculaire (ou fil à plomb),

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Le texte qui précède a été présenté
dans une Loge d’Occitanie..