Le Nombre « 3 »


J’aborderai mon propos sur le Nombre « 3 » en faisant appel à un Catéchisme maçonnique en usage au milieu du dix-huitième siècle (*1) :

– A quoi connaîtrai-je que vous êtes Franc-Maçon ? de­man­de le Maître de loge au nouvel initié.
– A mes signes (1), à mes marques (2) et aux circonstan­ces (3) de ma réception fidèlement rendues, répond l’Ap­prenti.

Question : – Où avez-vous été reçu maçon ?
Réponse : – Dans une Loge parfaite.

Q. – Qu’entendez-vous par Loge parfaite ?
R. – J’entends que trois maçons assemblés forment une lo­ge simple, que cinq la rendent juste, que sept la font parfaite.

Q. – Quels sont les trois maçons de la Loge simple ?
R. – Un Vénérable et deux Surveillants.

Q. – Que signifient les trois coups frappés par l’expert [lors de votre initiation] à l’entrée du temple ?
R. – Trois paroles de l’Écriture sainte (*2 ): demandez (1), et l’on vous donnera ; cherchez (2), et vous trouverez ; frappez (3), et l’on vous ouvrira.

Q. – Que vous a-t-on fait faire dans le temple ?
R. – Le second surveillant m’a fait voyager trois fois de l’Occident à l’Orient, par la route du Nord ; et de l’Orient à l’Occident par la route du Midi ; puis il m’a remis à la disposition du premier surveillant.

Q. – Pourquoi vous fit-on voyager ?
R. – Pour me faire connaître que ce n’est jamais du premier pas que l’on parvient à la vertu.

Q. – Que vîtes-vous lorsque vous fûtes reçu Maçon ?
R. – Trois grandes Lumières placées en équerre, l’une à l’O­rient (1), l’autre à l’Occident (2) et la troisième au Midi (3).

Q. – Pourquoi n’y en avait-il point au Nord ?
R. – C’est que le soleil éclaire peu cette partie.

Q. – Que signifient les trois Lumières ?
R. – Le Soleil (1), la Lune (2) et le Maître de loge (3).

Q. – Pourquoi les désigne-t-on ainsi ?
R. – Parce que le Soleil éclaire les ouvriers le jour (1), la Lune la nuit (2) et le Vénérable en tout temps (3).

Ce vieux Catéchisme, oublié dans les pages jaunies d’un livre, vient semble-t-il de nous ouvrir la porte des Mystères du Nom­bre « 3 ». Nous pouvons désormais cheminer, l’esprit cal­me et éveillé, dans les arcanes symboliques de la Franc-Ma­çon­nerie, à l’affût d’un nombre qui préside, sous des aspects différents, aux travaux du Franc-Maçon, et qui cons­titue, à n’en point douter, la base même de son Enseignement. Sa­chant que « Tout est Un », vu qu’il ne saurait rien exister en de­hors du Tout ; mais que l’intelligence humaine a pour habitude courante de renfermer l’unité entre deux extrêmes…


Souvenons-nous d’abord que la Franc-Maçonnerie comporte en ses loges bleues (jadis le ruban du Maître maçon était bleu, quelle que fût la Loge…) trois grades : Apprenti (1), Compagnon (2) et Maître (3). Souvenons-nous encore que l’Apprenti a trois ans, l’âge de l’enfant qui, après avoir souri à la vie et appris à marcher, va observer, réfléchir, comprendre, avant d’agir.


Ayant fait ses trois premiers pas à l’entrée du temple, et s’être mis à l’ordre, formant l’équerre (limitée en trois points), notre Apprenti s’est vu placer sur la colonne du Nord. De cet endroit il est à même d’observer alors à loisir le lieu de son nou­veau travail – un labeur qui ne prendra fin, soulignons-le, qu’à son passage à l’Orient éter­­nel. Mais que voit-il donc ?


L’Apprenti voit d’abord que le temple s’étend dans trois di­rec­tions3 : en longueur (1) de l’Orient à l’Occident, en largeur (2) du Septentrion au Midi, en hauteur (3) du Nadir au Zénith. Il remarque aussi les trois grandes Lumières qui l’éclairent : à l’Orient le Maître de loge (1), chargé de conduire les travaux ; à l’Oc­ci­dent, sur la colonne du Nord, le premier surveillant (2), au Midi, le second surveillant (3), tous deux chargés de l’assister.
Notre observateur, à qui il est imposé trois règles : écouter (1), méditer (2) et se taire (3), ne manque pas de noter ensuite qu’une estrade est dressée à l’Orient, dotée de trois marches pour mener à la chaire du Vénérable.


Placé derrière celui-ci, com­me pour mieux l’inspirer, se trouve – entre la lune et le soleil, qui constituent avec le vénérable trois sublimes Lumières – le delta lumineux, chargé des premiers symboles qu’il nous appartient de rappeler, mais brièvement, ici : du sommet supérieur naissent deux côtés aux directions divergentes que coupe et délimite un troisième côté. On peut donc interpréter ces limites, que rassemblent trois angles, comme étant une figuration de la méthode d’analyse pro­pre au franc-maçon ; celui-ci peut pro­céder à l’étude dans des directions divergentes, voire opposées, mais il lui faudra tou­jours clore ses obser­vations et ses réflexions, qui ne peuvent se poursuivre indéfiniment.


A l’occident, l’Apprenti remarque les deux colonnes «B » et « J » de l’ancien temple de Salomon symbolisant l’une la force, avec ses ornements ioniques, l’autre la beauté par son style corinthien. Il n’y a ici, c’est vrai, que deux colonnes, mais chacune d’elles supporte trois pom­mes de grenade aux innombrables graines sur lesquelles il est permis de méditer… Nous ne re­tiendrons ici que deux faits les concernant : les gre­nades sym­­bolisent l’humanité et leurs graines les êtres humains.


Au centre du pavé mosaïque, encadrant en équerre le tracé que l’expert est chargé de dessiner ou de dérouler, c’est selon, au début des travaux maçonniques au grade d’Apprenti, se trou­­­vent trois piliers – surmontés de trois autres Lu­mières (qualifiées, celles-ci, de petites) dé­diées la première à la Sagesse nécessaire à l’érection d’un nouvel édifice, la seconde à la Force qui doit le soutenir, la troisième à la Beauté dont les maçons veulent parer chacune de leurs actions.

Des Lumières, grandes, sublimes ou petites pour diriger et éclairer les travaux de la loge… On peut encore indiquer les « trois Grandes Lumières de la Maçonnerie uni­verselle », dont l’importance ne saurait jamais être négligée ; il s’agit du Livre de la Loi sacrée, de l’équerre et du compas. Le livre dont il est question ici est traditionnellement, depuis les premiers temps de la Fran­che Ma­çon­­nerie, une Bible, mais peut, à notre époque et selon l’obé­­dience, être remplacé, en certaines occasions, par tout autre livre révélé. C’est là le symbole de la parole divine, de l’ordre universel, de la pensée et de l’action maçonni­ques. L’équerre, en réunissant dans un même outil l’horizontale et la verticale, évoque la matière et la rectitude morale ma­çonnique. Le compas symbolise l’esprit, le pouvoir de la con­nais­sance, tout en fixant les limites que le maçon ne saurait dé­passer dans ses relations avec ses semblables. Nous en resterons là.

Il est midi plein. Les frères sont assemblés dans le temple. Les travaux maçonniques peuvent donc commencer, « dans la mesure où chacun a l’âge requis et que tout est con­forme aux règles ». A l’aide de son maillet, le Maître de loge frappe solennellement trois coups de commandement que répercutent successivement du leur les deux surveillants. Trois mail­lets, trois fois trois coups. Faut-il y voir de nouveaux symboles ? Peut-être.

L’Ex­pert et le Maître des cérémonies officient con­jointement, ouvrant la Bible à l’Évangile de Jean, posant selon la tradition du grade l’équerre sur le compas, dessinant ou dé­rou­lant le ta­bleau de loge, allumant rituellement les trois bran­­ches d’un chandelier placé sur le plateau du Vénérable ainsi que les grandes Lumières du pavé mosaïque. Invités à abandonner leurs métaux pour reprendre leur ou­vrage laissé inachevé, les frères sont à l’ordre, tournés vers l’orient. Ils vont par une batterie, à trois frappes des mains, par une triple acclamation au mot sacré, « seulement con­nu des vrais maçons », et par l’énoncé de la devise maçonnique en usage, « élever leurs cœurs en fraternité et tourner leurs regards vers la Lumière », selon la formule consacrée. Contraint de garder le silence pour mieux entendre ce qui se dit autour de lui, mieux analyser et conclure au mieux de ses facultés d’homme, notre Apprenti n’aura pas manqué de relever sur le tableau de loge étendu devant lui trois mar­­ches soutenant des colonnes et trois fenêtres grillagées les dominant.

Notre Apprenti se souvient sans doute que trois enquêteurs sont venus le rencontrer et l’interroger sur ses mo­tivations maçonniques premières, après qu’il eût posé sa candidature. Il apprendra peut-être ici, s’il n’a pas encore assisté à l’initiation d’un autre postulant, que son admission a également fait l’objet de trois scrutins…
Aurait-il oublié que lors de son passage dans le cabinet de réflexion, on lui a proposé de rédiger son «oTestament philosophiqueo», en répondant à… trois ques­tions portant sur les devoirs de l’homme envers lui-même (1), envers sa famille (2) et en­vers l’humanité (3)o?…
Aurait-il également oublié qu’on lui fit faire, lors de son initiation, trois voyageso: ceux de l’enfant (1), de l’adolescence (2), de l’âge adulte (3)o; qu’il fut éprouvé par trois élémentso: l’air (1), l’eau (2) et le feu (3)o; enfin que le bandeau qui lui couvrait les yeux tom­ba au… troisième coup de maillet du Vénérable Maître…

Aurait-il encore oublié qu’il fut créé (1), constitué (2) et reçu (3) franc-maçon par une triple apposition de l’épée flamboyante sur la tête et les épaules, solennisée par trois coups de maillet. L’oubli, si oubli il y a, est maintenant, par nos soins, réparé.
Nous espérons que notre Apprenti n’aura toutefois pas man­­qué de constater ici que la houp­pe dentelée qui court au­tour du temple forme douze nœuds, soit un nœud pour chaque mois de l’année – celle-ci comportant comme chacun le sait quatre trimestres : soit quatre fois trois… Mais signalons encore, à l’intention de notre Apprenti et de celle de tous nos frères ici présents, que le Nombre « 3 », sujet de notre propos, trouve encore pleinement sa force maçonnique et de toute évidence symbolique :

Dans la création d’une nouvelle Loge par l’intermédiaire d’un triangle – trois Maître constituant une loge simple avec le souci de la rendre, dans un délai de trois ans, parfaite, ayant alors rassemblé auprès d’eux au moins deux Maîtres, un Compagnon et un Apprenti ;
• Dans la signature traditionnelle des francs-maçons, ornée depuis le XVIIIe siècle de trois points placés en ligne ou en triangle ;
• Dans l’attouchement de l’Apprenti – trois pressions exercées sur la main du frère dont il veut se faire connaître ;
• Dans l’énoncé du mot sacré : « Je ne sais ni lire (1), ni écrire (2) ; je ne sais qu’épeler (3) » ;
Dans les ornements de la Loge : le pavé mosaïque, la houppe dentelée et l’étoile flamboyante, symbolisant (1) l’union intime qui règne entre les maçons, (2) le lien d’amitié et de fraternité qui les unit, enfin (3) le Grand Architecte de l’Univers qui les éclaire et les guide.
Dans les trois bijoux mobiles de la Loge – équerre, ni­veau et perpendiculaire, que portent en sautoir le Maître de loge, le premier et le second surveillants ;
Dans le signe de l’Apprenti qui s’exécute avec ces mêmes ou­tils : l’équerre (1), sym­bo­le de la droiture de la conscience et des actes du franc-maçon ; le ni­veau (2), symbole de l’égalité qui doit prévaloir ; la perpendiculaire (3), symbole de la rectitude du jugement qu’aucun préjugé personnel ne saurait altérer.

Dans les trois bijoux immobiles de la Loge qui sont la pierre brute, la pierre cubique à pointe et la planche à tracer du Maî­tre, symboles des trois degrés fondamentaux de l’Art royal ;
Enfin dans les trois outils traditionnels de l’Apprenti qui sont (1) le maillet, (2) le ciseau et (3) la règle à 24 divisions.

Ayant commencé notre propos par un extrait d’un Caté­chis­me maçonnique du XVIIIe siècle, nous le terminerons par une découverte imprévue faite récemment aux Archives dépar­te­men­tales du Lot, dans un vieux document manuscrit antérieur à la révolution, révélant les signes, attouchements, marches et mots sa­crés des hauts-grades de la Franc-Ma­çonne­rie.
On y apprend, entre autres choses que dans l’un de ces grades, dits supérieurs, l’âge est de trois fois vingt sept ans accomplis – soit quatre-vingt-un, ce nous sem­ble. Sans vouloir entrer dans des mystères qui ne sont pas du domaine de notre Loge, nous re­tiendrons de cette découverte que si 81 s’obtient en multipliant 27 par 3, 27 découle de la multiplication de 9 par 3, et 9 par celle de 3 par 3.
Bref, au début de notre propos, nous nous étions allègrement engagé sur la voie du Nombre « 3 » en pensant n’avoir à écrire – et prononcer – que quelques mots ; à son terme, nous paraissons ne point pouvoir nous en affranchir ; à croire qu’en Franc-Ma­çonnerie il n’existe point d’autre réalité numérique. Mais il nous vient à l’esprit une dernière pensée, ou plutôt une dernière question à formuler : le Nombre « 3 » ne serait-il que maçonnique ? 

Affirmons-le sans équivoque ni la moindre modération : Il n’en est rien ! Puisque les Statuts qui nous régissent nous interdisent, en principe, de parler Religion, nous n’entrerons pas dans le détail de notre réflexion, mais soulignerons seulement que, dans le mon­de profane, le Nombre « 3 » est celui de la Trinité, et que la Trinité définit elle-même la triple essence de la divinité. N’at­tendez pas, toutefois, que nous résistions à l’envie de rappeler le premier verset de l’Épître de Jean, se trouvant juste au-dessous de l’équerre et du compas :

Au commencement était la parole (1), et la Parole était avec Dieu (2), et la Parole était Dieu (3).

Encore et toujours encore, le Nom­bre « 3 »… Quoi qu’il en soit… J’ai dit.

*NOTES : (1) – Extrait du « Recueil précieux de la Maçonnerie adonhiramite », publié en 1767 par Guillemin de Saint-Victor.
(2) – Il y a lieu de se souvenir que le franc-maçon du siècle des Lumières n’avait aucun scrupule à se présenter chrétien ; et main­tes Loges pouvaient alors se rendre en procession à l’église paroissiale locale.
(3) – Nous n’avons pas cru utile d’évoquer les dimensions du carré long pour lesquelles certains donnent le rapport 2+1 (soit le nombre : 3), tandis que d’autres retiennent la seule valeur du nombre d’or : 1,618.

Le texte qui précède a été présenté
dans une Loge d’Apprenti d’Occitanie.